Après sa grave blessure, Lola Mansour est de retour : "Cette chute a bouleversé ma vie. J’ai dû arrêter mon sport et mes études"
Trois ans et sept mois après sa commotion, la Bruxelloise a repris la compétition.
- Publié le 12-10-2021 à 06h36
- Mis à jour le 12-10-2021 à 11h01
Grammont. Non loin du "Muur", rendu célèbre par le Tour des Flandres, le complexe sportif "De Veldmuis" affiche un calme inhabituel en ce lundi matin. À l’extérieur, le parking est vide ; à l’intérieur, les lumières sont éteintes. Mais, en franchissant la porte d’entrée, on entend de la musique. Fort. Et on reconnaît une chanson de Robbie Williams. Tout au fond du couloir, dans une salle, une dizaine de personnes sont en pleine séance de "spinning". Jouxtant les vélos, il y a un tatami où deux judokas se préparent pour l’entraînement : Ilse Heylen, médaillée olympique en 2004, et Lola Mansour, de retour à la compétition après trois ans et sept mois de traversée du désert, due à une commotion cérébrale.
Lola, comment votre carrière sportive et votre vie quotidienne ont-elles basculé le 21 février 2018 ?
"J’étais à l’entraînement national, à Schaerbeek. Dans un mouvement, je suis tombée sur ma tête, également heurtée par celle de Gaby Willems. Sur le coup, j’ai ressenti une vive douleur, mais je me suis relevée. Puis, j’ai vite compris que le choc avait été solide. J’avais des lancements comme si mon cœur battait dans ma tête. Lors de mon stretching, j’ai commencé à avoir des nausées. Et, en montant à la cafétéria, je me sentais vraiment mal. Je me suis rendue à ma voiture. J’avais ma valise dans le coffre car, le jeudi matin, nous devions partir en minibus pour disputer le tournoi de Düsseldorf. C’est Sophie Berger qui m’a ramenée à mon kot, à Louvain-la-Neuve. Là, je suis devenue de plus en plus confuse et Anne-Sophie Jura m’a emmenée aux urgences, à Ottignies. Le médecin m’a dit de me reposer. Le lendemain, j’ai compris qu’il m’était impossible de combattre dans cet état. Je me suis donc reposée mais, le lundi, quand j’ai voulu reprendre mes activités, j’ai constaté que j’étais encore plus mal. Le milieu extérieur, la lumière et le bruit étaient une agression. J’étais victime d’une commotion cérébrale, une blessure pas comme les autres."
À l’époque, vous disiez : "J’ai l’impression d’avoir mis ma vie sur pause". Expliquez-nous…
"Sur pause, oui, je l’ai décrit comme ça ! Les premiers mois après mon accident ont été très compliqués. Comme tout judoka, j’étais pressée de revenir. J’ai donc essayé de reprendre l’entraînement. Pendant des semaines, j’ai connu des hauts et des bas. Même avec une séance par jour, j’étais incapable de terminer un entraînement. Sans parler de mes cours à l’université, où je n’ai pas pu présenter mes examens. Pendant quatre mois, je pense qu’on a joué avec ma santé ! Fin juin, j’ai cherché une solution à mon problème. J’ai passé un scanner et j’ai suivi un traitement. Avec le repos, j’ai constaté une amélioration… Et j’ai repris l’entraînement. Mais j’ai déchanté et la chute fut plus vertigineuse encore ! Au point qu’un jour, j’ai dû arrêter ma voiture sur le bord de la route parce que je ne pouvais plus conduire. Là, je me suis inquiétée. J’étais démoralisée."
Vous sentiez-vous abandonnée ?
"Franchement, oui ! Mais, à la fin de l’été, j’ai reçu de la part de judokas canadiennes leur ‘protocole commotion’. Ce que j’y ai lu m’a confortée dans l’idée qu’on n’avait pas pris mon problème au sérieux. Il y avait là une procédure par étapes, style la promenade, la lecture et un retour à l’étape précédente à chaque fois que le mal (de tête) revenait. Et moi, je m’entraînais… J’ai donc pris mes distances avec le monde sportif et je me suis adressée à mon médecin personnel, le docteur Pascal Oger. Il a contacté le professeur Alain Carpentier, à l’hôpital Érasme. Nous nous sommes rencontrés fin 2018. Il m’a mise sous certificat médical alors que, jusque-là, j’étais prise en charge par l’assurance pour accident de travail. Dans le même temps, la Fédération francophone a mis fin à mon contrat de sportive de haut niveau. Mais j’avais le sentiment d’être, enfin, entre de bonnes mains."
Au-delà du judo, votre vie quotidienne a été chamboulée…
"Bien sûr ! Aujourd’hui encore, je vis chez ma mère, à Ganshoren, car j’ai dû arrêter mes études et libérer mon kot, que je ne pouvais plus payer. Pendant des mois, je me suis organisée pour que toutes mes activités aient lieu dans un environnement très proche. Pendant la suite de ma convalescence, j’ai été bien entourée. Et je suis très reconnaissante aux personnes qui m’ont aidée à surmonter cette épreuve. Ce fut un long processus qui nous a demandé beaucoup de patience. Je pense à Edouard Vanheer, étudiant en éducation physique désormais diplômé, qui s’est occupé de ma revalidation et qui a même enfilé mon deuxième kimono pour que je puisse retrouver mes sensations de judoka. Il y a aussi mon kiné, Mehdi Datoussaid."
Vous voilà de retour à la compétition ! Le judo, ça s’oublie ?
"Le judo ne s’oublie pas, mais il se perd ! Il faut le travailler au quotidien, répéter ses gammes pour retrouver ses automatismes, ses sensations. Après mon retour, je ne me suis pas entraînée pendant une semaine pour soigner une tendinite au coude. Et je l’ai sentie en reprenant avec Ilse, à Grammont."
Vous avez contacté Ilse Heylen et la Fédération néerlandophone. Pourquoi ?
"J’ai beaucoup d’admiration pour le parcours sportif d’Ilse. Elle a accepté de me rejoindre, il y a un an, pour me ramener progressivement vers le judo. Je suis désormais affiliée à Leuven, où elle a son Académie. Et je suis passée à la VJF. Une formalité… J’y ai discuté avec Koen Sleeckx, responsable du haut niveau, à qui j’ai expliqué, en toute transparence, ce dont j’avais réellement besoin, à savoir : une structure professionnelle, mais surtout une certaine autonomie."
Le judo vous a-t-il manqué pendant toute cette période ?
"Oh oui ! J’étais en manque de tatami. De compétition aussi parce que j’ai le sentiment de ne pas avoir montré tout ce dont je suis capable. J’ai toujours cette soif d’apprendre, de m’améliorer. Mon arrêt forcé ne m’a pas enlevé le plaisir que j’ai à combattre sur un tatami."
Comment y êtes-vous venue ?
"Par hasard ! Étant née en décembre, je n’avais pas encore 6 ans quand, à la rentrée scolaire, ma mère m’a emmenée au basket, sport qu’elle avait pratiqué dans sa jeunesse. Et on m’a jugée trop jeune… Alors, j’ai poussé la porte de la salle d’en face. C’était le dojo, à Ganshoren. Et le judo s’est imposé à moi ! Personne dans la famille ne l’avait pratiqué, même si j’ai essayé d’entraîner une de mes sœurs. Mais ni Naila (37 ans), ni Aida (36 ans) n’étaient intéressées par le sport. Alors que moi, à l’époque, je prenais plaisir à mettre à terre tous les garçons. Très jeune, j’ai été fascinée par l’univers japonais. J’adorais le sumo ! Avec le judo, je me suis sentie à ma place."
Vous avez rapidement décroché des médailles…
"Je n’avais pas encore perdu mes dents de lait que je voulais devenir championne olympique. Alors, vous pensez si monter sur des podiums a boosté mon envie de réussir ! Et puis, ma grand-mère maternelle, qui est très proche de moi, était si heureuse de me voir ramener des médailles…"
Au fond, Mansour, c’est de quelle origine, Lola ?
"Alors, je suis ce qu’on peut appeler un bouillon de culture ! Je suis née d’un père égyptien et d’une mère albanaise. Et j’ai donc deux sœurs, plus âgées. Mon père est décédé, des suites d’une thrombose. C’est pourquoi ma mère est le pilier de la famille. Nous sommes très proches l’une de l’autre."
En 2018, à l’époque de votre accident, vous aviez un contrat de sportive de haut niveau. De quoi vivez-vous aujourd’hui ?
"Actuellement, je suis au chômage. Je vis avec un peu moins de 1 000 euros par mois. Ma situation est relativement instable. Au moment de mon accident, j’étais employée par la Fédération francophone depuis 2013. Et j’ai été licenciée en janvier 2019. J’ai reçu mon C4 par recommandé. Mais, étant sous certificat médical jusqu’en août 2020, je n’ai entamé mon préavis qu’en septembre. Et celui-ci s’est achevé en avril 2021. Je suis au chômage depuis quatre mois."
Et vous vous en sortez ?
"Dans mon malheur, j’ai rencontré des gens formidables. Parmi eux, il y a Jean-François Lenvain. Il m’a remarquée lors des 20 Km de Bruxelles 2019. Avec quelques amis appartenant à un collectif, nous avons tenté de nous y infiltrer pour sensibiliser les gens aux harcèlements et violences contre les femmes dans l’espace public. Après coup, j’ai rencontré Jean-François qui a constitué une communauté de sportifs, parmi lesquels Cynthia Bolingo et Zizou Bergs, avec le hashtag ‘giveandtake’ et avec le soutien de la Fondation Ladbrokes. J’ai un projet sociétal, l’écriture d’un roman, à plusieurs mains, basé sur mes rencontres dans les clubs sportifs. Cette communauté permet des échanges avec d’autres sports non basés exclusivement sur la performance ou le divertissement."
Revenons au judo. Quel sont désormais vos objectifs ?
"En principe, mi-octobre, je participerai à un tournoi aux Pays-Bas. Ensuite, je suis inscrite à l’Open de Belgique, le 11 novembre, à Herstal. Ce sera là mon vrai retour avec une forme de pression. Mais je profite…"
À 27 ans, avec votre parcours, pensez-vous à Paris 2024 ?
"Je pense que, vu ma situation actuelle, c’est encore prématuré. Disons que j’ai la Tour Eiffel dans un coin de ma tête. Il y a de la place puisque, avec ma commotion cérébrale, j’ai perdu quelques neurones !"
"Une combattante sur le tatami et aussi en dehors"
Écrivaine, Lola Mansour a aussi lancé le fameux hashtag "Balance ton sport".
Écartée des tatamis pendant de longs mois en raison de sa commotion, Lola Mansour n'a heureusement pas que le judo dans la vie. La Bruxelloise est animée par la passion de l'écriture et a sorti un roman, Ceinture blanche, pendant sa convalescence, en octobre 2018.
Lola, après "Ceinture blanche", trouvez-vous encore le temps d’écrire ?
"En fait, ce premier roman, je l’ai écrit quand j’avais 17 ans. Ma mère a mis la main dessus et, sans m’en parler, elle l’a envoyé pour un concours. Sous un pseudonyme ! C’était en juillet 2018… Il a été retenu parmi les seize meilleurs. Mais, pour poursuivre le processus de sélection, elle a bien dû me l’avouer. Je ne sais pas si, au départ, j’aurais accepté. Mais, là, j’ai joué le jeu. Et j’ai gagné ! J’ai reçu le prix Laure Nobels et ce roman Ceinture blanche a été publié."
Avec un tel titre, il y a du judo là-dessous, non ?
"Seulement en toile de fond. Il s’agit d’une autofiction, d’une jeune fille, Anya, voulant donner un sens à sa vie, à l’aube de ses 12 ans. Elle s’engage dans une carrière sportive, de sport de combat. Mais ce n’est pas une autobiographie. Je n’ai plus rien publié depuis lors, mais je travaille actuellement sur un texte."
Vous avez aussi lancé, avec Charline Van Snick, le hashtag "Balance ton sport". Comment cette idée vous est-elle venue ?
"Ce fut spontané. Comme un cri d’alerte. Ce n’était pas voué à perdurer. Mais quand on voit ou qu’on entend les récits de certain(e)s dans le monde du sport de haut niveau, je pense que notre action doit continuer !"
Vous avez une âme de militante, n’est-ce pas ?
"Disons que je suis une combattante sur le tatami et aussi en dehors. Avec mon livre, on a évoqué la Fondation Laure Nobels. Il faut savoir que cette jeune fille de 16 ans, passionnée d’écriture, a été tuée en 2012 par son petit ami de 17 ans, qu’elle avait quitté. Un drame, un féminicide, pour lequel nous avons dépassé le stade de l’indignation en menant des actions, depuis trois ans, à l’approche de Noël. Laure était née un 21 décembre… Au-delà de ce cas précis et en ayant pris certaines distances avec le milieu sportif, j’ai repensé à toute une série de comportements anormaux et j’éprouve quelques regrets de ne pas avoir réagi à l’époque. L’esprit de compétition est exacerbé, le milieu déshumanisé, ce qui va à l’encontre des principes de base du sport que sont le fair-play et la solidarité. Le sport, en général, et le judo, en particulier, sont des milieux machos, où l’encadrement étouffe des attitudes et des paroles déplacées. C’est pourquoi, avec Charline, nous nous sommes mobilisées et le mouvement prend de l’ampleur car nous recevons de nombreux témoignages."
D’autres comme la hockeyeuse Jill Boon ont, en effet, témoigné. Il y eut même cette lettre ouverte à l’adresse du monde politique signée par une cinquantaine de personnalités sportives. Ce militantisme ou ce combat, vous le partagez aussi avec votre mère. Racontez-nous votre fameuse action commune…
"Ah oui, nous avons dénoncé le passage du Dakar en Arabie Saoudite alors que les femmes y étaient interdites de conduire. Avec ma mère, nous avons roulé en cuistax devant l’Ambassade ici, à Bruxelles, avec une pancarte où nous avions écrit "Dakar, pas Dakar !" sous la photo de la militante féministe Loujain Al-Hathloul, emprisonnée pour avoir bravé l’interdiction…"